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La Passion
La Passion
Au dixseptième siècle, la passion désignait à peu près tous les états affectifs
Dans la langue moderne, elle se distingue du sentiment et de l’émotion et prend un sens plus restreint.
La passion est plus exaltée, plus ardente que le sentiment, comme lui, elle transforme le monde tel qu’il nous apparaît et nous le fait percevoir avec excès, sa démesure nous aveugle sur la réalité.
Elle est ainsi cause de désordre dans notre esprit et notre comportement.
Elle se rapproche de l’émotion , bien qu’elle soit plus durable ; elle prend naissance à la suite d’une vive émotion, comme un coup de foudre qui engendre la passion amoureuse, et à son tour elle est source d’émotions, qui sont très variées, ainsi le passionné connait successivement la tristesse, l’exaltation, la dépression.
La passion envisagée comme source de désordre nous dépossède de notre être en mettant la raison en échec
Cette mise en échec de la raison par la passion, est dénoncée par la tradition philosophique , qui accorde à la passion un sens négatif, nocif pour l’homme.
Platon comme Aristote posent la passion comme indestructible.
Cependant, elle peut être dépassée, maîtrisée par le travail de la raison ; il y a une vie où la passion n’a pas sa place, lorsque le sage atteint la contemplation de l’Idée ou du Bien, il en est totalement affranchi.
Ainsi, Platon comme Aristote pensait qu’il fallait nous affranchir de nos passions pour libérer la raison, afin qu’elle s’arrache à la sphère du devenir, s’élève vers le monde des Idées et atteint la contemplation du Bien
La primauté de la raison sur la passion est une idée affirmée par la tradition philosophique ; l’homme est un « animal raisonnable » et c’est bien parce qu’ll est doué de raison qu’il doit se consacrer à la connaissance, qu’il doit acquérir une maîtrise de soi.
Se laisser submerger par nos passions, serait renoncer à dépasser notre animalité, ce serait, pour reprendre ici, les mots de Kant être condamné à un « état de minorité » , c’est à dire renoncer à sa liberté en ne pouvant dépasser sa nature animale, sans atteindre cet « état de majorité » qu’est la liberté.
Cependant, la dualité entre passion et raison, établie par la tradition, est-elle légitime ?
Faut-il voir dans la passion un obstacle à la réalisation de sa liberté, une impossibilité d’atteindre la connaissance comme l’affirme Platon et les rationalistes ?
Dans son sens étymologique, la passion vient du latin « passio », qui signifie souffrance, lui-même apparenté au grec « Pathos », de même sens.
La passion , c’est donc la souffrance ; historiquement, le mot a été d’abord utilisé pour désigner la période de souffrance du Christ.
La tradition philosophique entretient et développe cette idée
La passion est ce que l’on subit, cette souffrance qui nous détourne de la connaissance
Cette passion souffrance que les stoïciens nous invitent à combattre .
Cependant, l’opposition classique entre passion et raison est beaucoup plus nuancée par le stoïcisme, au sens où la passion est une raison irrationnelle, un jugement, qui nous dépossède de notre maîtrise.
Si les passions sont mauvaises, ce n’est pas en tant qu’elles sont différentes de la raison , mais parce qu’elles sont plutôt des raisons égarées.
Ainsi , il y aurait des tendances naturelles qui se pervertissent sous l’influence du milieu social et qui troublent l’âme, qui pourtant est rationnelle ?
La passion est donc de la nature de la tendance, c’est une inclination naturelle qui s’exagère, qui s’installe à demeure, se fait centre de tout.
La passion est une transformation de notre personnalité toute entière.
Toute tendance, en s’hyperthrophiant, peut devenir passion comme celle des sentiments, la classification des passions peut être calquée sur celle des tendances.
Le problème est le suivant : Comment la tendance s’exagère au point de devenir passion ?
Des conditions extérieures, un petit fait qui n’a laissé en apparence qu’une impression fugitive, peut cependant être gravé en nous. Le tempérament comme l’ambition, la jalousie sont des excès du sentiment. Les conditions sociales peuvent également transformer la tendance en passion.
Il y a des époques, des lieux sociaux, qui offrent une atmosphère privilégiée pour l’éclosion de certaines passions : Les guerres de religion pour la passion religieuse, la Renaissance et les Humanistes pour la passion intellectuelle, le Front Populaire pour la passion politique.
Cependant, il est indispensable de prendre en compte les causes internes de la passion,et donc de distinguer la tendance du désir.
La tendance n’est pas par elle-même conscience, contrairement au désir qui impose une représentation préalable du but de l’acte, de l’objet désiré, c’est là qu’est précisément le germe de la passion.
Or, cet élément représentatif qui vient s’intercaler entre la tendance et son but naturel, peut devenir un travail de l’imagination que la personnalité ne contrôle plus.
Ainsi, nous pourrons observer des effets de la passion sur l’intelligence ; le fait essentiel est la cristallisation, c’est-à- dire que la représentation initiale s’entoure de toutes représetations adventives, d’idées, d’images, de souvenirs, le tout plus ou moins déformé, artificiel, elle se grossit, s’amplifie au point de devenir une sorte d’idée fixe, qui se fait le centre unique de toute la vie de l’esprit.
D’une façon générale, les effets de la passion se traduisent par un déséquilibre, d’où résulte un bouleversement de la personnalité dont le centre de gravité est dépassé.
Le passionné ne s’appartient plus, il devient sa propre passion. La passion finit par s’éteindre par l’épuisement, l’habitude peut également l’émousser, elle peut finir en se transformant en un autre, qui conserve un point commun avec elle. L’homme religieux devient un grand saint, l’amour humain se transformant en amour de Dieu.
Elle peut également se transformer en son contraire, l’amour en haine, se terminer par la folie , dont elle est voisine ou par la mort, explicitant sa dimension destructrice.
Cependant, la passion entraîne -t-elle systematiquement un déséquilibre de l’intelligence, de la sensibilité, de la volonté ?
Sommes nous autorisés à prêter à la passion une dimension positive, à penser que la dualité entre raison et passion, établie par la tradition, reste trop catégorique et nous invite à une interprétation trop restrictive de la passion ?
La passion ne donne-t-elle pas sens aux situations, aux actions ? L’action initiée et motivée par la passion n’est-lle pas l’expression de ce que nous sommes ?
Nietzsche, en opposition avec la tradition, verra dans la passion une des dynamiques de la Volonté de Puissance, c’est-à-dire, ce vouloir du vouloir et du vouloir toujours plus. La détermination de la volonté ne peut alors être sans passion, loin d’être néfaste ou toxique pour l’homme, la passion est intimement liée à la volonté.
Tout chez Nietzsche, s’interpréte en termes de puissance, de volonté ; la passion joue un rôle premier dans l’affirmation de la volonté, dans ce vouloir du vouloir. Nous parlerons d’une frénésie de la volonté, qui s’apparente précisément à la passion.
Dans cette perspective, la passion étant liée à la volonté de puissance, n’est plus cet élément déséquilibrant de l’intelligence.
Nietzsche parle d’une passion de la connaissance, qui n’est autre que cette volonté de connaissance, qui est à elle-même cette volonté de connaître, manifestation même de la volonté de puissance.
La dualité entre passion et raison perd ici tout son sens.La passion de la connaissance est cette volonté de connaître, qui est à elle même manifestation de la volonté de puissance.
Nietzsche déconstruit ainsi les catégories de la tradition philosophique ; ce n’est plus la raison et la vérité contre la passion et la sensibilité, mais la passion qui s’identifie à la connaissance presqu’au sens religieux religieux du terme.
Ainsi, il remplace l’amour de la vérité par la frénésie de la connaissance, qui est passion de la connaissance.
Le sens du mot passion a évolué au cours des siècles.
C’est à partir du dix-neuvième siècle que la passion et la raison ne s’opposent plus de façon systématique.
Hegel accordera à la passion un tout autre sens, la passion devient un élément qui s’intègre dans le mouvement de l’Histoire.
Dans « La Raison dans l’Histoire », Hegel explique que « Rien de grand ne s’est fait sans passion »
En d’autres termes, le grand homme, celui qui a marqué l’histoire, ne peut agir que par passion, c’est en suivant ses intérêts particuliers, qu’il interviendra sur la scène de l’Histoire
Ce qu’il faut préciser ici, est que dans la conception hégélienne de l’Histoire, l’homme n’est pas un acteur à part entière, c’est la Raison ou Dieu inachevé qui le guide dans l’histoire pour accomplir la réalisation du Logos. Mais si la Raison s’incarne en lui, c’est parce qu’il est animé par ses passions, c’est, dira Hegel « La ruse de la Raison qui utilise la déraison », soit la passion pour agir sur le terrain de l’histoire.
La passion se fond ainsi dans le mouvement dialectique de l’Histoire et en devient une des composantes. L’Histoire n’est qu’une actualisation , qu’une formation constante du réel, réel qui est lui-même rationnel et rationnel qui est réel.
L’identité entre réel et rationnel, proprement hégélienne peut être contestée ; Ce qu’il nous parraît important ici, est la déconstruction de la dualité entre raison et passion.
Si le monde de l’homme, c’est-à-dire ce monde d’actions et de fabrications humaines n’est pas rationnel, au sens où peut l’être le monde de la nature , il est un monde d’interpétations, de subjectivité ou la passion joue un rôle central.
Comment créer sans passion ? Comment agir sans passion ? Comment faire du monde, un monde pour l’homme, sans passion ?
Brigitte AIACHE
Philosophe Practicienne
Doctorat Sciences Politique Paris VII Universite
À propos
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