La peur de l’inconnu

L’inconnu est souvent identifié à l’absence de sécurité, de repères, de point d’appui qui nous permet de nous construire
La peur s’associe presque toujours à l’inconnu, au sens où il renvoie au doute, à ce que l’on ne maîtrise pas, à ce que notre Entendement ne peut connaître.

Ainsi, la peur de l’inconnu relève d’une interrogation Métaphysique
Comment ne pas associer la peur de l’inconnu à la peur de la mort ?
L’inconnu nous effraie car il renvoie à notre finitude et interroge notre condition
Cette peur propre à l’inconnu s’entend alors, comme une angoisse existentielle, qui s’apaise par la recherche de la vérité à tout prix, de sens, par un besoin quasi pathologique de sécurité

Pourtant, si l’inconnu nous effraie, en même temps, il nous attire, il nous interpelle, nous interroge.
En effet, l’inconnu c’est aussi cette part de nous même, qui nous invite à nous comprendre, à mieux nous appréhender et par là même, à nous libérer de nos préjugés, à déposer nos fardeaux.
C’est précisément, cet attrait de l’inconnu qui nous autorise à déconstruire nos croyances, à nous explorer nous-mêmes, à pénétrer des domaines souterrains de notre psychisme.
C’est ce même attrait de l’inconnu qui nous permet de nous renouveler et de croire en la puissance créatrice de l’esprit.

Il ne s’agit pas de choisir entre la peur de l’inconnu ou l’attrait de l’inconnu, mais de comprendre et de mettre en lumière toute l’ambiguïté du ressenti devant l’inconnu.

Peur et attrait sont fondamentalement deux sentiments proprement humains

La peur de l’inconnu prend-elle sa source dans ce désir, fondamentalement humain, de dominer, de posséder, de s’approprier, au sens hégélien du terme?

La volonté d’humaniser la nature, de s’approprier le monde, de faire du monde un monde pour l’homme, démontre ce besoin de maîtriser, propre à l’homme.

Faut-il alors n’y voir que la peur de l’inconnu ou au contraire toute la complexité du ressenti humain face à l’inconnu?

Faire du monde un monde pour l’homme, c’est à la fois explorer, innover, ouvrir des possibles, explorer l’inconnu du monde pour se l’approprier, l’humanité.

L’attrait de l’inconnu ne s’explique-t-il que par le besoin de vérité, au sens où cette confrontation amènerait à une connaissance objective et universelle?
Lorsque Descartes, dans les Méditations Métaphysiques, emploie le doute méthodique et radical, ce doute qui va au-delà du douteux, n’explore-t- il pas l’inconnu ?
La “tabula rasa” de Descartes, c’est la confrontation à l’inconnu.
Mais cette exploration de l’inconnu doit amener à la première certitude, soit le cogito, fondement de la preuve ontologique, certitude inébranlable, qui prêtera à la croyance en Dieu, une dimension incontournable, une croyance vraie, car démontrée.

Ainsi, la peur de l’inconnu s’associe à un besoin de vérité à tout prix, elle évacue le risque, elle exige du sens, des certitudes.

Pourtant, les certitudes, la volonté de trouver à tout prix une explication rationnelle ne mettent-elles pas en péril notre faculté de penser ?

“Ce n’est pas le doute qui me fait trembler, mais les certitudes” nous confiera Nietzsche dans le Gai Savoir.
Les certitudes nous figent, nous endort, nous trompent.
Nietzsche, en déconstruisant la métaphysique, explore les profondeurs de l’inconnu.

En abolissant le monde intelligible, il remet en question la preuve ontologique cartésienne amenant à cette première certitude inébranlable de l’existence de Dieu.

Il dépasse le relativisme kantien, qui affirmait que notre connaissance est relative à notre faculté de connaître.

Chez Kant le monde intelligible ne peut être qu’inconnu puisque nos catégories de l’entendement deviennent aveugles quand elles tentent de franchir cette barrière invisible entre sensible et intelligible.
Il ne peut donc être exploré

Nietzsche poussera le relativisme de kant à l’extrême, au sens où la connaissance n’est plus relative à notre faculté de penser, mais à nos sens, transformant la connaissance, en une connaissance subjective, qui est constamment à découvrir, à construire et à déconstruire, sans aucune place pour la certitude et la vérité.
C’est la ruine de la vérité qui rend possible la puissance créatrice de l’esprit
“Mais pourquoi ne pas se tromper et pourquoi ne pas se laisser tromper” (Gai Savoir)
En dénonçant ce besoin de vérité à tout prix, en questionnant la peur de l’erreur, il donne à l’inconnu toute sa dimension.

L’erreur est le moteur de la connaissance, passer d’une erreur à une erreur moins grande,c’est passer d’une interprétation à une interprétation plus grande.
Ainsi, le monde est déréalisé, il n’y a pas de faits en eux- même, il n’y a pas d’affirmations , il n’y a que des interprétations.
Or, quoi de plus fragile que l’interprétation !
Sa subjectivité ne peut nous rassurer.

Ainsi Nietzsche nous bouscule, en nous incitant à nous confronter à cet inconnu qui nous fait si peur, en investissant l’erreur d’un sens nouveau.
Vouloir l’erreur, c’est vouloir explorer l’inconnu, c’est ouvrir des horizons nouveaux, insoupçonnés, c’est dépasser notre peur, par la confiance dans notre faculté de penser, de créer, d’innover et de se repenser le monde.

Brigitte AIACHE